Le monde recule : les emplois les plus importants de la communauté, comme les enseignants et les personnes qui s’occupent des personnes âgées, sont peu rémunérés, tandis que d’autres, dans des industries qui créent des dommages sociaux et environnementaux comme les combustibles fossiles ou le tabac, ont des salaires disproportionnés. Cette perspective doit être inversée les salaires devraient refléter la contribution à la société, et non la capacité à générer des profits. En outre, seule l’introduction d’un salaire minimum dans tous les pays, y compris l’Italie, peut contribuer à lutter contre le phénomène du travail pauvre. En effet, la négociation collective au niveau des syndicats reste importante, mais seulement si elle repose sur une base salariale commune suffisamment élevée pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale ». Ce point a été souligné dans AvvenireOlivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, qui présentera son rapport à l’Assemblée générale des Nations unies, exhortant les États et les entreprises à mettre en œuvre le droit à un salaire équitable.
Si le travail ennoblit l’homme, dans au moins un cas sur cinq sur la planète, il ne le sort pas pour autant de la pauvreté. Qui plus est, le rapport note que même les gains de productivité ne tendent pas à se traduire par de meilleurs salaires pour les travailleurs, principalement en raison de l’augmentation des formes de travail atypiques et de l’affaiblissement des syndicats. En bref, le phénomène du « travail pauvre » est loin d’être résiduel : son incidence est même en augmentation. Il y a 712 millions de personnes dans le monde pour qui le travail ne garantit pas une existence digne. Dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, respectivement 44 et 52 % des travailleurs sont modérément ou extrêmement pauvres : en Afrique, ce chiffre atteint 54,8 %, en Asie et dans le Pacifique 21,3 %. Même aux États-Unis, il y a au moins 6,3 millions de travailleurs pauvres, soit 4,1 % du total. Dans l’UE, les travailleurs pauvres représentaient déjà 10 % de la population active en 2017 (+8 % dix ans plus tôt).
Pour De Schutter, la position de plusieurs syndicats, souvent opposés au salaire minimum, « est trop optimiste quant à leur capacité à défendre efficacement les droits des travailleurs dans un monde qui a profondément changé. La mondialisation, la concurrence entre pays pour abaisser le coût du travail, l’automatisation, la diffusion extrême de formes de travail atypiques qui ont certes augmenté le taux d’emploi mais au prix d’une fragilisation des travailleurs, sont autant de facteurs qui jouent en sa défaveur. Les gouvernements eux-mêmes sont souvent plus intéressés par la lutte contre le ralentissement de l’économie et la baisse du PIB que par la sauvegarde des droits et de la dignité des travailleurs. En Italie, c’est souvent le cas dans l’agriculture, où l’on assiste également à l’exploitation des migrants ». .
Le rapport souligne que la pandémie qui a précédé et la poussée d’inflation en 2022 ont aggravé la situation. En 2020, le pourcentage de travailleurs en situation d’extrême pauvreté a augmenté pour la première fois en deux décennies, passant de 6,7 % en 2019 à 7,2 %, affectant 8 millions de personnes supplémentaires, en particulier les jeunes et les femmes. Le taux élevé d’inflation en 2022 a encore mis en évidence la vulnérabilité des travailleurs dont les salaires n’ont pas connu d’ajustement à l’inflation : en termes réels, les salaires mensuels ont baissé de 0,9 % en 2022, la première baisse de ce siècle. De plus, les écarts entre les hommes et les femmes restent importants. Ces dernières gagnent 73 cents pour chaque dollar gagné par les hommes dans les pays riches, et 43 cents dans les pays à faible revenu.
Au Bangladesh et en Inde, près de deux tiers des emplois sont informels et non structurés, mais même aux États-Unis, environ 10 % des travailleurs ont un emploi sur appel, souvent sous une forme irrégulière. La production de plus en plus externalisée et sous-traitée à des « unités économiques flexibles » joue en faveur des entreprises, mais pas des travailleurs, qui ont de moins en moins de garanties. L’émergence de la « gig economy » elle-même ne semble pas être un hasard. Pour M. De Schutter, le rapport « tente d’envoyer un message, à savoir que les salaires ne sont pas immuables, mais qu’ils sont le résultat de relations de pouvoir et que l’État doit prendre le parti du travailleur. De nombreux pays pensent malheureusement que le maintien de salaires bas accroît leur compétitivité dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, mais il ne s’agit pas d’une stratégie viable ou durable, car ils ont tous à y perdre. J’ai vu de mes propres yeux au Bangladesh comment plusieurs entreprises de l’industrie de l’habillement faisaient pression sur leurs fournisseurs pour qu’ils réduisent leurs coûts de main-d’œuvre : ce n’est plus acceptable, les travailleurs ont droit à un salaire décent qui leur permette de vivre.