lun. Avr 22nd, 2024

Nous venions de remédier à l’anomalie européenne de l’absence d’un filet de sécurité minimum pour les plus pauvres, et cette réalité s’est déjà effondrée. Malgré l’évidence des données, depuis le 1er mai, grâce à un décret ironiquement appelé « Travail », non seulement nous sommes revenus à la protection catégorielle, mais nous nous trouvons enveloppés dans une nouvelle campagne sournoise et méchante d’attaques contre les pauvres, de fausses divisions entre bons et mauvais, d’aveuglement obstiné sur les conditions sociales et économiques qui génèrent la pauvreté.

Et dire que ce n’est que le 30 janvier que le Conseil européen a signé la Recommandation qui attribue à un revenu minimum adéquat un rôle indispensable non seulement pour sortir de la pauvreté et de l’exclusion, mais aussi pour favoriser une reprise durable et inclusive et des sociétés plus équitables et plus cohésives. Trois mois plus tard, le gouvernement italien choisit une autre direction, en inventant une nouvelle catégorie, unique en Europe : celle des pauvres « employables ». Attention : dans le dispositif, sont employables les personnes en âge de travailler qui n’ont pas d’enfants ni de personnes handicapées ou dépendantes.

La proximité du marché du travail, variable classique d’évaluation de l’employabilité, n’a pas sa place. Pour les pauvres employables et « non méritants », l’aide est réduite à 350 euros, la durée à 12 mois et toute aide au logement est refusée. Pendant ces 12 mois, les personnes aptes au travail sont obligées d’accepter n’importe quel emploi permanent, n’importe où dans le pays, même à temps partiel. Peu importe que le salaire de cet emploi soit totalement insuffisant pour financer l’éventuel déménagement de la famille.

Dans le même temps, le décret rend la vie plus difficile aux unités familiales qui « méritent » d’être soutenues. Tout d’abord, les éventuels membres de la famille capables de travailler et majeurs ne sont pas inclus dans l’échelle d’équivalence : c’est comme s’ils n’affectaient pas le budget familial, mais ils sont néanmoins soumis aux obligations imposées par la mesure, qui seront établies par les services sociaux et les centres pour l’emploi, sous peine de suspension de l’allocation pour l’ensemble du ménage. C’est pire qu’avant pour les familles nombreuses. Ensuite, le seuil indiqué pour rendre compatible le cumul entre l’aide et les revenus perçus en cas de travail (3.000 euros par an) semble encore trop bas. Il aurait plutôt fallu permettre un cumul plus élevé afin de garantir la construction d’une base économique solide, permettant de sortir du programme et de la pauvreté en un ou deux ans.

On a l’impression que le décret fait peser la charge du placement sur les bénéficiaires individuels. La demande de travail n’est pas abordée, pas plus que la demande et la restructuration des programmes de formation professionnelle, qui dans de nombreux cas font cruellement défaut, ou même l’écoute de la voix des pauvres. Aucune ressource financière supplémentaire n’est prévue pour soutenir la recherche d’un emploi ; au contraire, la limite des ressources disponibles est soulignée à maintes reprises. Et tandis que la protection des revenus diminue, la qualité des emplois disponibles se détériore malheureusement aussi. Non seulement il n’y a pas d’espoir de salaire minimum, mais les contrats à durée déterminée sont libéralisés et l’utilisation des chèques est étendue à tous les secteurs où le travail pauvre est répandu. Déjà portés de 5 à 10 000 euros dans la loi de finances, les bons d’achat atteignent désormais 15 000 euros, un montant compétitif par rapport aux bas salaires qui, eux, sont au moins associés à des protections normales du travail. Ce n’est pas le cas des bons d’achat.

Constatant la complémentarité entre les dépenses sociales et les caractéristiques du marché du travail, Barth et Moene ont inventé le terme de « multiplicateur d’égalité » : plus l’État-providence est généreux, moins il y a d’inégalités sur le marché du travail, grâce au renforcement des groupes faibles sur ce marché. Les manœuvres adoptées à l’occasion de la fête du travail vont exactement dans le sens inverse, en pénalisant les pauvres et en dévalorisant le travail.

*Forum sur l’inégalité et la diversité 

By Nermond

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