mer. Avr 24th, 2024

Cherchant un abri contre le froid qui gèle l’asphalte et les os ce soir, nous escaladons la pierre rosée du Sauveur et entrons dans cette lumière jaunâtre qui ne vient que du baroque. C’est le jaune d’un métal terne, huileux et pierreux ; il se reflète dans le marbre et conserve quelque chose du jour. Un silence particulièrement blessant plane dans l’air, comme s’il insistait pour que nous nous taisions. Les infinis et vertigineux retables, disposés comme une succession de photogrammes gravés sur le ruban de l’art, concentrent leurs circonvolutions et leurs modelés sur l’intérieur des nefs. Entre les piliers et les voûtes, comme un roseau dans les gelées de janvier, marche le Seigneur de la Passion.

Les confrères, conscients de leur fortune et précis en nombre, ne peuvent que lever les yeux et chercher cet autre regard percé et dur, grave et définitif, qui semble soutenir les murs d’un temps sur le point de se briser. Le transfert est fugace, instantané et sans place pour la surprise. Malgré cela, nous pensons qu’il n’y a pas de plus grande surprise que de nous retrouver ici, signant de notre présence la fin d’une neuvaine déjà célébrée par des ancêtres que nous n’avons jamais connus. Cela fait neuf jours, mais qu’elle est loin l’agitation de l’année qui commençait, qu’elle est absente la fermeture lasse des magasins, démolis par la consommation et la précipitation. Le retour de Pasión à son autel est un îlot qui garde son propre climat, sa houle personnelle, son atmosphère ingouvernable.



Pour la dernière fois, nous prions et devant la majesté vertigineuse de ce retable, qui fait presque tourner nos yeux, le Seigneur de la Passion s’arrête, manchot, sans croix. C’est alors que la blessure du silence s’intensifie. Personne n’ose se regarder, on pourrait dire que l’air ne circule presque pas et que nos poumons ne s’ouvrent pas. Seul le claquement antique des noix et le claquement sec du piédestal – quatre siècles résonnant de pas – nous réveille de ce silence et nous aide à le surmonter. Saint Jean et la Vierge encadrent cette scène où l’or et la pierre, le temps et l’hier, le futur et le jamais, se rencontrent dans la chevelure du Seigneur qui retourne à son océan vertical d’argent. Nous savons tous quand il va redescendre. Nous rencontrons de bons amis. Nous sommes tous d’accord sur les calculs et les corvées. Nous nous approchons des processions pour cueillir un bouquet de lys qui, lorsque le jeudi saint arrivera, ne sera plus qu’un souvenir fané et éteint de ce jour où les horloges faisaient déjà tic-tac dans un autre temps.

By Nermond

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