jeu. Avr 18th, 2024

Le système global de l’Union européenne et des États membres connaît une phase de transition confuse. D’une part, ce sont les États membres qui doivent satisfaire les intérêts que les systèmes juridiques qualifient de « satisfaction nécessaire », et c’est l’Union elle-même qui exige des États qu’ils le fassent ; d’autre part, l’UE doit réaliser l’objectif du marché commun, prémisse indispensable à la construction de l’unité politique et institutionnelle également. Cet objectif entraîne un certain nombre de corollaires et pose de nombreux problèmes. Parmi les corollaires, les États ne peuvent pas arbitrairement soustraire des entreprises individuelles, et encore moins des secteurs entiers de l’activité économique, à la concurrence, et donc au marché commun, comme le feraient la nationalisation d’entreprises et la création d’organismes et d’entreprises publics. Ils ne peuvent pas non plus aider les entreprises nationales par des mesures qui les favorisent par rapport aux entreprises d’autres pays européens. D’où la conséquence que les entreprises publiques doivent se comporter comme les entreprises privées et que les aides aux entreprises publiques et privées qui faussent la concurrence sont interdites.

Les problèmes sont de différentes natures. Tout d’abord, l’hypothèse selon laquelle les entreprises publiques devraient se comporter comme les entreprises privées est une contradiction dans les termes : on ne voit pas pourquoi elles devraient être publiques si ce n’est avec des objectifs supplémentaires, d’intérêt public, par rapport aux entreprises privées, et ne peuvent donc pas disposer des instruments pour les poursuivre. Par ailleurs, il a été vérifié dans différents secteurs, et dans celui de l’électricité en particulier, que le simple recours au marché ne permet pas d’atteindre les objectifs de service public inhérents à ce secteur. Le cadre réglementaire contient donc une série d’incertitudes qui ont favorisé des applications différenciées par les différents États et, comme la concurrence ne s’exerce pas seulement entre les entreprises mais aussi entre les pays, il en résulte que certains ont été favorisés ou défavorisés par rapport à d’autres. L’Italie a été parmi les pays les plus zélés à procéder à des privatisations et à priver les entreprises publiques des instruments dont elles disposaient. Pour avoir une représentation correcte, il faut tenir compte du fait que les moyens par lesquels un État peut aider ou ne pas aider les entreprises publiques ne sont pas seulement de nature financière, consistant dans le versement de subventions, mais découlent de l’ensemble du cadre réglementaire qui les concerne : si, par exemple, elles peuvent être confiées directement ou doivent acquérir la gestion d’activités ou de services par le biais d’appels d’offres avec d’autres opérateurs ; si elles doivent à leur tour procéder à des appels d’offres lorsqu’elles agissent sur le marché ou peuvent se passer de cette contrainte ; si les administrateurs sont soumis ou non à des responsabilités administratives, en plus des responsabilités civiles et pénales.

En Italie – sauf, pour l’instant, dans les services publics locaux – la privatisation a été réalisée sans une conception stratégique que d’autres pays ont au contraire maintenue. Même une part de la Cassa Depositi e Prestiti n’est pas détenue par l’État, contrairement aux institutions similaires en France, en Allemagne et en Espagne. Les grandes entreprises économiques nationales conservent une part de capital public qui rend difficile d’en assurer le contrôle (30,6% Eni, 23,6% Enel), contrairement, par exemple, à Electricitè de France dont l’État conserve 84,4% du capital. L’autorité italienne de la concurrence, en plus d’exiger – en vain – la privatisation de la poste et des chemins de fer (on s’est même demandé si le réseau ferroviaire devait rester la propriété de l’État), a empêché l’entreprise publique milanaise Aem d’acquérir Edison, ce qui a entraîné son rachat par Électricité de France. Dans le passé, elle avait également empêché la participation conjointe d’Acea et de Suez à un appel d’offres pour la concession du service intégré de l’eau, la sanctionnant comme un accord restreignant le marché.

Le type de formule d’organisation utilisé produit également des effets différents sur l’ouverture du marché : en France, pour divers services, comme le service postal, on a longtemps continué à utiliser la formule de l’entité économique publique, qui s’est vu attribuer le service postal universel sans appel d’offres, sans la controverse qu’il y a eu en Italie, et qui n’était pas obligée de lancer un appel d’offres pour son activité avec des tiers au motif que son activité n’avait pas un « caractère industriel ou commercial ». Dans le même temps, l’État français a empêché l’acquisition de Stx par Fincantieri, comme il avait précédemment empêché l’acquisition de Suez en la fusionnant avec Gas de France. Il est clair que si le système français a été favorable, le système italien a été plutôt défavorable à ses entreprises publiques. Encore une fois, pour rester dans l’exemple français – mais c’est le cas à des degrés divers dans les autres pays européens -, l’État a eu une synergie intense avec les grandes entreprises privées nationales, dont certaines, comme Vivendi, ont été un véritable outil pour pénétrer les économies d’autres pays plus fortement que n’ont pu le faire Eni et Enel. Le fait que 518 entreprises italiennes, dont certaines stratégiques comme les télécommunications, aient été acquises par des entreprises françaises au cours des dernières décennies, contre seulement 74 entreprises françaises par des entreprises italiennes, ne découle pas d’un manque d’initiative de la part de ces dernières mais d’une profondeur différente des systèmes nationaux.

La réaction à ce comportement insensé de la part de l’État et de l’Autorité de la concurrence ne peut pas être celle d’un simple retour au système antérieur qui avait vu une partie très importante des entreprises italiennes entrer en bourse, mais celle de la mise en place, avant tout, d’une approche culturelle différente qui évite les aprioris idéologiques, sache comprendre et sélectionner les avantages et les inconvénients des entreprises publiques dans le contexte donné, en créant un système-pays avec des opérateurs publics et privés qui avance de manière synergique vers l’achèvement du système européen.

By Nermond

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