sam. Nov 9th, 2024

Les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui sont immenses : le réchauffement climatique devient irréversible, les systèmes de santé sont en crise, la fracture numérique accroît les inégalités, et nos modèles économiques financiarisés orientent de plus en plus les revenus vers les 1% les plus riches. Les inégalités et l’accès différencié aux avantages du capitalisme du XXIe siècle font que beaucoup sont désillusionnés par les processus politiques, faisant le jeu des populistes. Les solutions à ces défis sont complexes. Elles nécessitent des investissements, des réglementations et des innovations aux niveaux social, organisationnel et technologique. En particulier, la tâche de fournir ces solutions n’incombe pas uniquement aux gouvernements ou aux entreprises, mais à de nombreux types d’individus et d’organisations, y compris les acteurs de la société civile tels que les associations de citoyens et les syndicats.

Une question cruciale est de savoir comment promouvoir l’intelligence collective et l’interaction entre tous ces acteurs d’une manière qui valorise chacun, en leur versant des salaires équitables, en favorisant des conditions de travail de haute qualité et en partageant les connaissances et les fruits du travail de la meilleure manière possible. Pour ce faire, nous devons mieux comprendre la valeur en tant que produit de l’action collective et faire la distinction entre les rendements de l’investissement collectif et les rentes que nous appelons extractives – ces dernières découlant de la capacité d’un acteur à fausser les rendements en sa faveur, que ce soit par le biais de droits de propriété intellectuelle ou d’instruments financiers.

Dans sa deuxième encyclique, le Laudato si’, consacré au « soin de la maison commune », le pape François affirme avec force que le bien commun doit être au centre d’un monde en mutation. En effet, le bien commun est un cadre utile, surtout lorsque la manière d’atteindre un objectif est aussi importante que l’objectif lui-même. Le Pape soutient que les changements sociaux, économiques et politiques doivent viser à protéger les conditions essentielles de la vie humaine pour tous. Le bien commun attire notre attention sur l’engagement nécessaire pour soutenir les plus vulnérables de manière concrète. Prendre des décisions pour le bien commun signifie défendre et préserver la dignité de ceux qui sont socialement, politiquement et économiquement exclus en construisant un réseau de solidarité responsable. Nous devons donner une voix à ceux qui ne sont pas entendus dans les processus critiques de prise de décision. Cela peut se faire par le biais d’un nouveau modèle de croissance, qui n’est pas fait pour quelqu’un mais avec lui. Le modèle d’organisation coopérative, par exemple, est efficace pour rassembler des personnes aux moyens limités, en se concentrant sur l’action consciente de chacun.

Sur Laudato si’, Le pape François affirme à juste titre que l’État a l’obligation de défendre le bien commun dans l’intérêt de tous. Il constate également que certains secteurs économiques ont plus de pouvoir que les Etats eux-mêmes. Pour contrer cette tendance et en même temps relever les grands défis d’aujourd’hui, une approche du bien commun est essentielle. Elle nécessite une économie politique fondamentale qui va au-delà de la notion de bien public en tant qu' »intérêt général ». correction et est plutôt orienté vers le bien commun comme objectif. Nous devons fixer des objectifs clairs et mettre l’accent sur le processus de réalisation, afin que la justice et l’équité soient au cœur du modèle économique lui-même. Si nous n’avons pas le courage de réimaginer notre système actuel, nous resterons coincés dans le cycle sans fin de la correction d’un modèle économique défaillant par la charité et la philanthropie.

Telle est l’orientation des 17 objectifs de développement durable (ODD), qui s’attaquent à des problèmes profondément complexes nécessitant des investissements et des innovations technologiques, sociales et organisationnelles de la part de tous les acteurs de la société. Bien que les pays aient souscrit à ces objectifs, dans la plupart des cas, nous ne progressons guère. Le fait que nous « créons » de l’argent pour les guerres mais que nous trouvons toujours des excuses pour ne pas dépenser suffisamment pour les défis sociaux est révélateur. Nous agissons ainsi même lorsque des commissions et des organismes internationaux nous disent que le coût de l’inaction est supérieur à celui de l’action. Et l’argent ne suffit pas : c’est le type de collaboration qui compte. Pendant la campagne Covid, nous avons expérimenté un investissement collectif dans la recherche sur les vaccins, mais le résultat final n’a pas créé un « bien commun » : nous n’avons pas réussi à vacciner le monde.

Il est clair que des objectifs ambitieux comme les 17 ODD nécessitent la collaboration de différents acteurs, mais la question est : comment ? Nous sommes trop souvent paresseux avec les concepts de partenariat. Être « partenaires » ne signifie pas que nous travaillons bien ensemble. Bien travailler ensemble autour d’objectifs d’intérêt commun signifie fixer l’objectif ensemble, guider le « quoi » et le « comment » pour être vraiment collaboratif et produire les résultats nécessaires : pas seulement des vaccins, mais des vaccins accessibles à tous. Et les « récompenses », lorsqu’elles apparaissent, parfois sous forme de bénéfices pour les entreprises, doivent être partagées socialement comme les risques pris pour résoudre le problème. Avec l’approche du bien commun, l’accent est mis sur l’action collective qui doit être encouragée pour atteindre le résultat. Le processus est donc presque aussi important que le résultat final, comme celui d’un concert.

Nous devons donc réfléchir aux moyens de partager les « récompenses », telles que les connaissances et les bénéfices. Le système de santé américain est connu pour nécessiter des milliards d’investissements publics – 45 milliards de dollars pour les National Institutes of Health en 2022 – mais permet ensuite aux bénéfices d’être privés. Alors que l’industrie est confrontée à des « bénéfices excédentaires » sous la forme de redevances sur les droits de propriété intellectuelle, ni les prix des médicaments ni les droits de propriété intellectuelle ne reflètent la contribution publique.

Dans « Missione Economia », un livre publié en 2021 en Italie par Laterza, je montre les différentes façons dont le partage des récompenses peut être réalisé, depuis les conditions sur les prix de détail et les DPI, auxquelles nous nous sommes habitués à l’époque de la pandémie, jusqu’aux conditions sur le partage des bénéfices, comme les modèles d’actions. Les structures de propriété collective peuvent également contribuer à un partage plus équitable de la valeur avec tous les membres de la société et tous ceux qui ont contribué à créer cette valeur. Elles offrent la possibilité de remettre en question la concentration du pouvoir dans des cercles restreints et dans des entreprises déjà privilégiées. Diverses formes de propriété partagée – comme les coopératives, mais aussi les participations – sont utiles pour socialiser les fruits du progrès ainsi que les risques.

Cela vaut également pour l’économie numérique qui s’est développée grâce à des investissements publics massifs. Cependant, les données étant entre les mains de quelques puissants, les technologies clés telles que l’intelligence artificielle reproduisent souvent les préjugés et les injustices existants. Pour contrer cette tendance dangereuse, nous devons construire une architecture numérique plus inclusive et transparente. Par le biais de conditions éthiques, les États devraient régir les technologies émergentes pour le bien commun.

Ces deux exemples illustrent le point de vue de François sur la concentration déséquilibrée du pouvoir dans des secteurs économiques particuliers. En effet, dans cet esprit, le pape a toujours souligné à juste titre les problèmes du secteur financier, qui peut être extractif et se nourrir lui-même plutôt que l’économie réelle. « Renoncer à investir dans les personnes au nom d’un plus grand profit immédiat est une mauvaise affaire pour la société », écrivait-il dans l’édition du Laudato si’ (128).

Ces considérations suggèrent que les caractéristiques des partenariats – parasitaires, mutualistes, symbiotiques – doivent être prises en compte dans le processus du bien commun, où l’intelligence collective et la collaboration sont essentielles. Tout comme les mesures de durabilité ESG aident les entreprises à rendre compte de leurs actions intra-organisationnelles, le bien commun nécessite des mesures pour rendre compte des actions inter-organisationnelles. Par conséquent, le bien commun exige une vision large de l’ensemble de l' »écosystème » de collaboration. Si l’on décompose ces points, on peut affirmer que les attributs clés du bien commun sont une collaboration intense et une intelligence collective, la co-création de l’objectif, une conception véritablement collaborative de la manière d’atteindre l’objectif, et le partage des risques et des récompenses. C’est pourquoi l’approche axée sur la mission de la politique industrielle et d’innovation est extrêmement utile pour l’approche du bien commun, car elle se concentre sur un objectif clair, fixé par un gouvernement, une agence ou un organisme international, qui nécessite une intense collaboration publique et privée (et autre) pour « y arriver ». Le processus se caractérise par des essais et des erreurs, créant une dynamique tendue entre une direction claire et une expérimentation ascendante.

En résumé, nous devons réunir différentes voix autour de la table pour discuter de ce que signifie une orientation de croissance plus inclusive, équitable, juste et durable. Bien sûr, nous devons nous demander : la justice selon qui ? Les réponses doivent inclure les voix des plus marginalisés, qu’il s’agisse des communautés indigènes ou des femmes et des personnes de couleur qui ont été exclues du processus de décision sur « ce qu’il faut faire ». Le bien commun est un objectif à atteindre ensemble. Il met l’accent sur le comment et le quoi. Il offre la possibilité de promouvoir la compassion et la solidarité humaine, le partage des connaissances et l’apprentissage en cours de route pour atteindre les objectifs et défendre la qualité de vie sur une terre interconnectée.

Économiste de l’innovation, fondateur et directeur de l’Institute for Innovation and Public Purpose à l’University College London. 

By Nermond

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